Nous sommes ici réunies pour le dernier sacrement de Radio-Halifax Métro.
Tu en es aujourd'hui à ton dernier souffle, mais tu n’es plus vraiment avec nous depuis longtemps. Tu passeras bientôt à une autre fréquence, celle des souvenirs. J’ai le devoir de dire ces derniers mots pour toi. Je te ferai justesse, tu sais comment je t’ai aimée. Mais tu me connais, je me dois aussi d’être franche. Après tout, tu étais ma radio aussi et je dois maintenant t'enterrer. Je t’ai connue dès tes premiers pas, lors de mon adolescence. Tu étais alors qu’une étincelle dans les yeux d’une communauté dispersée et invisible. En pensant à toi, on pensait avoir un meilleur avenir où les francophones pourraient s’entendre et se trouver, marchander, et vivre, et tout ça dans la municipalité au complet en simultané, par la magie des ondes radiophoniques. Et on a travaillé fort. Je me rappelle des premiers test des ondes de radio au début des années 2000 avec des radios temporaires et des studios dans un placard au centre communautaire. Les gens voulaient tellement t’entendre que certaines avaient attaché des casseroles en cuivre à leurs radios pour mieux capter tes ondes encore un peu foetales. On avait hâte d’enfin arriver à ta naissance et commencer une nouvelle étape de nos vies, avec toi à nos côtés. Je t’ai perdue de vue pendant mes années noires, celles où j’étais loin de ma culture et où ma langue s'effritait tranquillement vers le néant. Pendant ce temps, tu étais en pleine croissance. Tu as eu des vrais studios. Tu a gagné tes propres sous. Le plus beau, c’est que dans le milieu de la plus grosse ville à l’est du Québec, tu as obtenu une vraie fréquence radio pour la communauté francophone, le 98,5 fm. Quand je suis revenue à la communauté, c’est toi la première qui m’a prise sous ton aile, dans le sous-sol d’une grande radio commerciale. Tu m’a donné un emploi en français quand j’en avais vraiment besoin, à essayer de vendre de la publicité sur tes ondes. J’étais tellement en voie d’assimilation quand je suis arrivée que je devais garder un dictionnaire anglais-français avec moi en tout temps pour être conversationnelle. Tu as eu la patience de me laisser retrouver ma place dans ma propre langue. Je pense que j’aurais trouvé une façon de me sauver moi-même si tu n’étais pas là, mais une radio communautaire, ça a le pouvoir magique de changer des vies de toutes sortes de façons. Tu as certainement changé la mienne. Mais les choses n’étaient jamais vraiment roses. Même dans tes plus beaux moments, tu as toujours eu une épine aux finances. Je le sais, pour l’avoir vécu, que c’est très difficile de convaincre les entreprises qu’un public qu’ils ne connaissaient même pas vaut la peine de cibler. C’est difficile de faire la de francophonie invisible de Halifax un meilleur investissement que toutes les autres radios commerciales, celles qui ont des côtes d’écoutes dans les centaines de milliers de personnes. Tu as eu des bons moments: des bons commanditaires, un appui généreux du feu M. Chagnon. Mais ce n'était jamais assez pour te sortir de la pauvreté. Tu étais à la merci du pouvoir économique collectif d’une communauté qui ne s’est pas encore trouvée. Ici, c’est un miracle si plus de 50 francophones se trouvent dans une salle, malgré le fait que nous sommes des dizaines de milliers de personnes. Et toi, ma pauvre, tu avais la tâche de nous rassembler tout en dépendant déjà de nous. On t’a piégée avec nos rêves d’avenir. Mais tu as continué de vivre. Et nous avons continué de croire. Tu n’allais pas bien. Tu n’as jamais vraiment décollé à ton plein potentiel. Tu as fais des choix bizarres dans tes relations communautaires. Je pense qu’à force de partager une bâtisse avec une grosse radio commerciale, tu as commencé à croire que tu devais être comme elle. Que tu devais te gonfler, et garder tes problèmes pour les intimes. Que parce que tu étais dans un centre urbain, que tu valais plus que les autres radios communautaires de la province, toutes rurales. Que c’était à la communauté de venir vers toi, et non toi vers nous. Croire en ce projet, notre radio, s’est vécu comme une addiction. Dès la première fois qu’on rêvait d’une francophonie tangible par le biais de cet outil, on y était accros. Au fil du temps, le high était moins bon, et on passait de plus en plus de temps à être frustrées et anxieuses, mais ça ne nous empêchait pas de continuer. Peut-être que si on essayait toutes un peu plus fort, on pourrait atteindre la joie du premier high. Croire, c’était plus fort que la réalité. C’était meilleur que la réalité. Mais une à une, on a commencé à se réveiller et briser le cycle de la dépendance. Nous avons pu nous admettre que malgré tout l’effort que chacune pouvait y mettre, notre radio continuerait sur son chemin vers une mort certaine. Nous avons dû mettre fin à nos relations avec toi afin de nous protéger du dommage que l’espoir en toi nous causait. La plupart sevraient complètement avec toi et cessaient même de t’écouter. Comme des 12-steppeusess, nous avons eu beaucoup de rassemblements pour parler de toi, de combien c’était difficile de ne plus t’avoir dans nos vies. “Je m'appelle Céleste et je suis une CKRHolique. “Nous avons partagé notre déception, nos peines et nos frustrations. Si une radio pouvait fonctionner sur des soupirs, des larmes, et du désespoir, tu aurais été comblée. Nous avons tenté de te sauver, d’intervenir. Nous avons essayé de te tendre des perches en t’achetant des publicités et en te proposant des projets. Nous avons proclamé que nous t’aimions bien mais que si tu continuais sur ce chemin, tu t’en allais vers une mort certaine. Mais tu n’as jamais vraiment voulu nous entendre. Peu importe les circonstances, tu demeurais convaincue que tu avais déjà le bon plan pour tout redresser. Même après des incidents majeurs, tu nous repoussais et tu insistais que tout était sous contrôle. Tu n’avais plus d’animateurs rémunérés, plus de web-diffusion, plus de personnel, plus de bon sens. Tu avais de plus en plus de dettes à des gros joueurs comme l’ARC et Radio-Canada . De moins en moins de gens étaient autour de toi, tu crevais de faim. Je ne comprends pas pourquoi tu n’as pas déclaré un état de crise totale, ou compris que tes méthodes ne fonctionnaient pas. Pourquoi tu as refusé d'écouter nos plaidoiries. Pourquoi tu as tenu à faire à ta façon, malgré la mort certaine que nous y voyions tous. On ne peut pas aider quelqu’un qui refuse d’être aidé. Ta maladie chronique a été longue et pénible à voir. Je t’en veux de t’avoir laissé mourir ainsi. D’avoir refusé d’admettre que tu étais en crise jusqu’à ton dernier souffle. C’est dégueulasse de faire ça à ceux qui nous aiment. Et maintenant tu nous réclames 100 000$ pour te sortir d’une tombe que tu as toi-même creusée. Si c'est même possible pour ma communauté de mobiliser autant de sous, est-ce que c'est à toi qu'on devrait les donner? Ce montant pourrait servir à des salaires, des projets, un avenir. Mais il ne servira qu’à payer pour tes fautes, celles que nous avons essayé de t’empêcher de faire, alors que tu te fermais les yeux et que tu te bouchais les oreilles. Si nous payons ta dette, nous repartirons à zéro le lendemain parce que tu n’auras pas plus de financement, et tu ne seras pas plus près de la communauté. Je ne te donnerai pas un sou, parce que je t’ai déjà assez donné de moi, et parce que j’ai fini d'être tonenabler. J’ai fini de jouer ce jeu avec toi. Si ça veut dire que cette fois sera ta dernière, ainsi soit-il. Si je dois moi-même pelleter la terre sur ton cercueil pour que ça finisse une fois pour tous, je le ferai, l'âme en morceaux. Je n'en peux plus de te regarder vivre comme ça. Mais ne crois pas pour un instant que je ne pleure pas ta mort. Je suis profondément en peine pour ce que nous allons perdre. Nous, haligéennes, vivons dans cette ville anglaise et nous avons peine et misère à nous retrouver là-dedans. Les enfants qui grandissent ici ne gardent pas l’identité culturelle de leurs parents, et sont perdues dans leur francophonies. La plupart des adultes viennent en fait d’ailleurs et ont choisi de venir s’installer ici à Halifax. Nous n’avons pas de quartier français, nous n’avons pas de point de repère. Nos espaces communautaires sont loin et mal fréquentés. Cette ville est pourtant ouverte à la francophonie, nous avons assez de francophones, francophiles, franco-capables et franco-cachés de toutes sortes pour vraiment vivre quelquechose ensemble. Être une vraie communauté. Toi, en couvrant tout cet espace géographique par la radio, tu avais le potentiel d’être la braise qui commence la révolution. Mais tu es entrée trop tôt dans le cimetière du potentiel raté de ma communauté. Un monument à toutes les choses que je continuerai à ne pas vivre ici. J’ai peur que ta faillite restera en nous sous forme d’une peur de l’innovation et des idées osées. À chaque fois qu’on proposera des nouvelles initiatives, j’ai peur qu’on invoquera ton fantôme pour nous faire peur et semer le doute en nous. On dira qu’on ne peut pas compter sur les francophones pour soutenir une initiative. On dira qu’on n’existe pas. Mais il faudra plutôt se rappeler qu’on a réussi à exister, un peu, pour un moment. Qu'aujourd'hui nous pleurons le suicide de notre radio chérie, mais que demain, peut-être, nous applaudirons un nouveau début. Qu’un jour, nous réussirons à nous retrouver. Que nous vivrons vraiment. Donc je lève un dernier verre à CKRH, notre radio qui vivra bientôt une mort prévisible et évitable. Que ton lègue soit une leçon pour nous, et que nous nous appuyons sur un réalisme pour faire fonctionner notre avenir. Que ta mort soit plus paisible que tes dernières années l’aient été. Adieu, CKRH. J’espère en aimer une autre comme je t’ai aimée toi.
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À proposJe suis Céleste Godin Ici sont mes idées, des pensées pas rapport et du random junk. C'est kind of intéressant, hopefully. Note sur la langue utilisée:
Ce blog n'a pas honte d'utiliser des mots anglais ni d'inventer des mots. Afin d'alléger le texte, le genre féminin est utilisé. Le masculin est inclus lorsque le contexte l'indique. Le stuff que t'as manqué
January 2021
Les modes de stuff
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