Ah Moncton. Petite ville nommée après un génocidaire anglais. Royaume du Mascaret et la Pumphouse aux bleuets. Chais que des fois, j’te donne du tough love, mais aujourd’hui, laisse-moi juste te couvir d’amour, ok? Aller chez toi, c’est comme plonger dans un autre univers que le mien. On est entourée de français, on le lit, on l’entend, on le rit, on le sent. Je sais que tu vas tout de suite me dire que tout est en menace, et qu’on doit être sur les gardes à tout moment, mais moi je ne peux m’empêcher de t’admirer. Quand tu te regardes dans le miroir, tu ne vois que le défauts, les rides, les cicatrices, les imperfections. Moi, quand je te regarde, c’est ta luminescence et ton sourire que je vois. Chez toi, on peut commander son sandwich en français au Tim Horton’s. Chez toi, les francophones, quoique pas toujours accueillis à bras ouverts, ne sont pas des créatures exotiques qui surprennent par leur simple existence ceux qui les entendent parler. Chez toi, on peut aller voir des films en français régulièrement. Chez toi, les bonnes serveuses parlent le français, l’anglais et le chiac interchangablement. Chez toi, la menace d’assimilation est moins immédiate et je peux respirer. Chez toi, on peut carrément ne pas apprendre l’anglais si on le veut vraiment. Chez toi, on peut être professeur, activiste, chauffeur, architecte, avocat, artiste ou agent de centre d’appel, entièrement en français. Et tu es célèbre, sans vraiment le savoir. Tes rues sont chantées par des artistes. Ton centre culturel est légendaire. Ton parler est si connu les québécois le connaissent de nom, et l'utilisent comme référent lorsqu’ils s’auto-analysent. Chez toi, on me comprend quand je parle de l’Acadie. Je n’ai pas besoin de commencer mes réflexions en expliquant l’histoire Acadienne depuis 1604 pour que tu en comprennes le contexte. Chez toi, les gens comprennent mes référents culturels quand je leur parle. La musique de mon enfance et de mon présent leur est familière aussi. Et quand on parle d’Acadie chez toi, et que je me sens oubliée de ma perspective haligéenne, je dois constamment te rappeler que je suis là aussi. Comme un garçon qui m’ignore juste assez pour me garder intéressée, tu me garde dans ton entourage, cherchant constamment ton attention et ton approbation. Tu es en dualité constante. Tu es aux prises entre deux langues dans un débat éternel et une négociation sans fin. Tes édifices sont abominablement laids et tes maisons sont d’un charme infini. Tes habitants sont à la fois des intellectuels du plus haut rang, et du monde qui ne lit jamais des livres. Tout ça est pèle-mèle dans des rues diagonales, avec des maisons dans des stationnements, le cauchemar vivant des urbanistes et des friands de logique. Mais ce chaos constant fait que n'importe quoi peut arriver parce que who knows qui tu vas croiser quand tu sors prendre une drink. Une grande partie de ta magie vient du fait que tu est hantée par deux fantômes qui te poussent constamment à continuer sur le bon chemin. Le fantôme de la Patente pousse tes leaders à exiger que les Acadiens aient leur juste place dans les espaces décisionnels. C’est ce qui pousse les francophones à rester organisés et vigilants. C’est ce qui fait que les gens se battent pour avoir des institutions crédibles, des lois qui les protègent, et qu’on leur accorde leur juste part des choses. L’autre fantôme, et celui qui me colle à la peau quand je suis chez toi, c’est l’esprit du Kacho. C’est ce spectre qui est là quand les artistes défoncent les limites qu’on s’imagine autour de la culture acadienne. Quand on s’organise des moments underground, osés ou absurdes, c’est lui qui nous chuchote à l’oreille d’aller plus loin, d’être plus weird. C’est grâce à lui qu’on rejette le mainstream Acadien pour créer quelque chose qui nous ressemble vraiment. Quand j’ai envie de communier dans un monde d’idées, d’imagination et d’Acadie, le fantôme du Kacho me prend par la main et me guide vers les bonnes personnes et je ne suis plus seule. Et parfois, dans des moments de génie, les deux esprits se croisent et tu nous éblouis. Quand la Patente croise le Kacho, ça donne le projet de ré-occupation de la Cathédrale de Moncton. Ça donne Acadie Rock. Ça donne de l’espoir. Et loin d’être un paradis où on a tellement de bonheur et peu de soucis qu’on devient paresseux, tu as une menace tangible en pleine face. Entre les Maires xénophobes et tes anti-bilinguistes, tu ne peux jamais complètement te reposer. Mais comme les retraités qui découvrent que ils ne sont heureux que quand ils peuvent se rendre utiles en quelque part, tu n’es jamais aussi vivante que quand tous tes salons sont remplis d’outrage et de sessions de stratégie. Tu est belle quand tu est fâchée. Et moi je t’aime. Je t’aime même trop pour être vraiment avec toi. Je sais que si me donnerais à toi que notre relation consommerait toute ma vie. Je m’embourberais dans ton monde, tes réseaux, ta vie, et je n’aurais jamais la force pour te quitter. Et on a besoin de moi ici. Moi j’ai besoin de moi ici. Donc je me contente de faire de toi ma maîtresse. Notre amour peut être absolu dans nos moments ensembles, mais éventuellement je dois retourner à la maison. Quand je n’en peux plus de me sentir seule, c’est dans tes bras que je veux me trouver. Quand je me sens trop découragée dans une Acadie passéiste, c’est toi que j'appelle pour que tu me parle de plans d’avenir. Quand je parle du pays de mon Acadie à moi, c’est toi qui en est la capitale. Ta place dans mon coeur t’y est réservée à vie. Moi je ferai l’effort de te voir plus souvent si tu me promets de me garder une invitation ouverte. J’ai besoin de toi, et je pense que tu as un peu besoin de moi aussi... (photos Céleste Godin 2015)
6 Comments
Myriam
16/6/2015 09:48:37 am
Céleste, c'est beau! Tu écris tellement bien, mais surtout, tu écris du coeur. Et ça me touche. :)
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25/9/2015 01:41:20 pm
My God !!! Sérieusement, je n'ai jamais vu un si beau texte écrit sur Moncton. Tout ce que je ressens est dans ce texte. Céleste, je veux être ton amie. Merci !!!!!!!!
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lisa rioux wow!!
26/9/2015 08:07:55 am
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Suzanne Laplante Edward
26/9/2015 08:24:44 pm
adorable, ce texte Céleste Godin. Génial. Québecoise de naissance, j'ai marié un anglophone de Campbellton. et tu sais quoi? il parle parfaitement bien le français, mon anglais. moi j'adore les Acadiens sans aucune réserve, et j'en ai parlé dans les mémoires que j'ai écrites pour mon petit-fils. 419 pages de mémoires...
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Pierre Boudreau
2/4/2016 10:37:18 pm
Céleste, ce texte me réchauffe le coeur et me mouille les yeux!
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Karine
5/4/2016 12:33:43 am
Bouleversant. Je suis passée 6 ans par Moncton, et je ressens le même appel, tu le décris tellement bien. Surtout à la fin, quand tu dis que tu ne pourrais plus partir si tu te laissais aller complètement dans cette relation. Mais que tu dois partir. Et repasser pour reconnecter. Merci d'exprimer si bien ce qu'on ressent, mais qu'on ne sait pas comment dire.
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À proposJe suis Céleste Godin Ici sont mes idées, des pensées pas rapport et du random junk. C'est kind of intéressant, hopefully. Note sur la langue utilisée:
Ce blog n'a pas honte d'utiliser des mots anglais ni d'inventer des mots. Afin d'alléger le texte, le genre féminin est utilisé. Le masculin est inclus lorsque le contexte l'indique. Le stuff que t'as manqué
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